Notre première rencontre avec le Père
André LACOSTE eut lieu, en juillet 1989, au beau milieu du pont
mythique qui enjambe la rivière Ruzizi, frontière entre le Congo et le
Rwanda à hauteur de Cyangugu.
Ce pont militaire, étroitement lié à
l’histoire du célèbre et controversé mercenaire Jean Schramme
(sécession katangaise), reste gravé dans notre mémoire en raison de la
difficulté que nous avons eu à le franchir…
Arrivé à Cyangugu avec mon compagnon de
voyage, l’architecte Bertrand TERLINDEN, les militaires nous ont
formellement interdit d’entrer au Congo via Bukavu (il aurait fallu
reprendre l’avion vers Kinshasa - ce qui pour nous était hors de
question !).
Tout ceci en raison d’un différend
politique qui opposait à l’époque le Maréchal Mobutu aux autorités
belges. Hébergés par les Sœurs d’une congrégation religieuse, qui nous
ont très généreusement offert l’hospitalité, nous sommes donc restés
bloqués à la frontière durant plusieurs jours, logés à quelques mètres
seulement du fameux pont.
Sans l’intervention personnelle du Père
André LACOSTE et du responsable au poste frontière de Bukavu qui par
miracle n’était autre qu’un de ses anciens élèves, notre histoire
africaine aurait très probablement tourné court ! Il fallait faire vite
car ce dernier devait quitter la région le lendemain, appelé à d’autres
fonctions. C’est donc le Père LACOSTE lui-même qui nous enjoignit de
franchir, par le pont en question, les quelques dizaines de mètres qui
nous séparaient du Kivu où allait débuter une aventure spirituelle intense entre
un architecte, un charpentier et un Père missionnaire
éclairé.
Le but premier de notre
voyage était, à l'initiative du Père André Lacoste,
la reconstruction du Couvent des Soeurs de la Lwana
situé dans la paroisse de Bunyakiri. C’est ainsi que, lors de nos longues soirées de discussions et de nos
« débriefing de chantier », nous avons
pu approcher un homme de terrain déterminé et habile négociateur.
Combien ai-je pu apprécier en tant que Compagnon cet homme de foi qui
n’a cessé de joindre l’action à la pensée. Durant les trois mois passés
à ses côtés, nous avons eu, comme l’a bien exprimé Bertrand TERLINDEN
au Lazaret des Pères Blancs lors de la messe d’adieu, la chance et la
fierté d’être un temps ses humbles ouvriers.
Le Père André LACOSTE fut aussi ce
merveilleux conteur qui nous convia au cœur de la grande Forêt. Nous
lui serons éternellement reconnaissants de nous avoir permis de
découvrir l’Afrique de manière aussi engagée.
L’article ci-dessous, qui traite de la reconstruction du Couvent des Sœurs de la
Résurrection de la Lwana, est un hommage au Père André LACOSTE sans qui cette belle aventure n’aurait jamais vu le jour.
Stéphane VERBOOMEN
Charpente d’inspiration romane pour un couvent au cœur de la forêt équatoriale Zaïroise
(Aujourd’hui située en République démocratique du Congo)
Par Stéphane Verboomen, Brabançon La Persévérance,
Compagnon Charpentier des Devoirs du Tour de France
La journée portes-ouvertes d’un de nos chantiers de restauration en juin 1989 a été l’occasion de rencontrer Bertrand TERLINDEN, un jeune architecte belge alors fort préoccupé par la reconstruction du Couvent des Sœurs de la Résurrection de la Lwana dans le Sud-Kivu, sa première grande réalisation. Inspiré par l’œuvre architecturale d’Henri LACOSTE (1885-1968) et à la demande de son fils, le Père André, il en avait conçu les plans et souhaitait avoir l’avis d’un professionnel de la charpente. Le grand intérêt technique et artistique de la construction lié à l’attrait d’une expérience pour le moins dépaysante me décida à accepter cette collaboration assez exceptionnelle qui allait naître entre le concepteur et le réalisateur. Les conseils avisés de Monsieur Roger DECHAMPS, chef du Service d’Anatomie des Bois du Musée Royal de l’Afrique Centrale à Tervuren, ont constitué une mise en garde sérieuse quant à l’utilisation des essences locales (résistance aux termites). Etant donné la très grande variété des espèces dans cette région forestière et que nous ne disposions pas du temps nécessaire pour soumettre un échantillonnage valable au
Service d’Anatomie des Bois, il nous a suggéré de nous en remettre à la compétence des autochtones. Arrivés à destination, en juillet 1989 sous l’aire du Maréchal Mobutu (1930-1997), dit « Le Léopard de Kinshasa », notre premier souci fut l’acquisition du bois. Les marchés de Bukavu (capitale de la province du Sud-Kivu), nous ont fourni les pièces de petit équarrissage destinées à l’ensemble des bâtiments hormis la chapelle.
Les scieurs de long
La voûte lambrissée du cœur ainsi que la ferme centrale de la nef, de conception romane, nécessitaient l’utilisation de sections plus importantes. Or l’unique voie d’accès, impraticable pour les camions, ne permettait pas le transport d’un matériel lourd. Il fut donc décidé d’abattre des arbres dans la forêt avoisinante et de les faire débiter sur place par les scieurs de long.
Les arbres ont donc été choisis en fonction de deux critères importants : l’essence choisie devait être résistante aux termites et le diamètre du tronc devait être suffisant pour pouvoir correspondre au débit de bois préalablement établi par le charpentier. Les arbres ainsi choisis ont été abattus à la hache par les bucherons et roulés sur un « échafaudage » en bois, construit à flanc de colline (de sorte que le tronc à débiter se retrouve à près de 2 mètres du sol). Ces derniers, après avoir été lignés à l’aide d’un cordeau enduit de cendre, ont été débités à la main par deux scieurs de long. Le premier, debout en équilibre sur le tronc, remonte la scie, qui descend ensuite de son propre poids, aidée par le deuxième scieur resté au sol. Ce mouvement ancestral, répété à longueur de journée durant des semaines a donné « naissance » aux pièces équarries nécessaires à l’édification des charpentes.
Nous avons coutume d’utiliser en charpente traditionnelle la méthode du piquage des bois ou traçage des assemblages (tenons et mortaises, embrèvements etc.) au fil à plomb. Ce procédé s’avéra indispensable pour obtenir suffisamment de précision dans le tracé des assemblages compte tenu du caractère irrégulier des pièces obtenues par un sciage manuel rarement soigné. Soulignons toutefois, que cet aspect peu régulier des pièces de bois n’enlève rien à la beauté de la charpente, mais au contraire renforce son caractère authentique.
Précisons que l’absence d’électricité nous obligea, lors de la taille, à remplacer systématiquement l’outillage mécanique par un outillage manuel traditionnel tel que : hache, scie à cadre, de long, égoïne, ciseau à bois, etc.
Le chantier se situait, en effet, en plein cœur de la forêt et la seule source d’énergie à notre disposition se résumait
à un panneau solaire destiné à faire fonctionner la « phonie », radio qui nous permettait, à certaines heures, d’entrer en contact avec le Couvent des Sœurs de la Résurrection de Mirhi (Bukavu) en cas d’accident...
Le levage de la charpente à environs six mètres du sol exigea, en l’absence de grue, la mise en place d’un portique qui enjambe la nef à une hauteur de neuf
mètres et auquel fut suspendu un Tirefort (sorte de treuil métallique actionné par la seule force des bras) destiné à hisser les éléments lourd de l’édifice.
Pour la charpente de la chapelle, nous avons utilisé le type de ferme qui remplaçait déjà, à l’époque romane, la voûte de pierre ou la voûte lambrissée lorsque les ressources financières étaient insuffisantes. Les charpentiers songèrent alors à donner à leurs charpentes l’aspect d’un berceau symbolisant la présence de Dieu dans l’édifice. Ici, le demi-cercle à l’intérieur de la ferme centrale est obtenu par une découpe cintrée des jambes de force.
Notre tâche fut également de construire un four à briques destiné à la cuisson des briques en terre crue, moulées et sèchées sous abri, par la main d’œuvre villageoise.
Les matières premières, argile et eau (à puiser dans la Lwana toute proche) se trouvaient sur place et en suffisance. La seule chose qu’il nous manquait était un four suffisament performant pour arriver à cuire en quelques
semaines seulement le nombre de briques nécessaire à l’édification de la chapelle. L’architecte, Bertrand TERLINDEN, avait emporté avec lui le plan d’un four à brique
« de campagne » issu d’une recherche effectuée par le CRATERRE (Centre de recherche sur la construction en terre de l’Ecole Nationale Supérieur d’Architecture de Grenoble en France).
Ce four était constitué de deux foyers, destinés à faire du feu, ainsi que d’une « chambre » dans laquelle les briques crues étaient disposées en vue de leur cuisson. Le premier travail a donc consisté à réaliser le coffrage en bois de la voûte en plein cintre du four haute de près de 2 mètres.
Afin d’éviter que l’argile ne colle au coffrage, celui-ci a été recouvert de feuilles de bananier.
C’est sur ces dernières qu’ont été disposées les briques en terre crue qui composent la voûte. Après décoffrage, la voûte ainsi constituée, a cuit en même temps que la première fournée de briques.
Une fois l’argile extraite et mélangée à l’eau elle est pétrie au pied afin d’obtenir un mélange homogène. Un morceau de la glaise obtenue est alors placée dans un moule en bois, de la forme d’une brique, puis applani. Le tout est ensuite démoulé et déposé sur le sol pour une premiere phase de sèchage. Une fois durcies les briques sont disposées à l’abri des intempéries sur des planches en bois pour une
seconde phase de sèchage. Par après elles sont empilées dans le four dont l’ouverture est ensuite murée par de la terre crue. Le feu, allumé dans les deux foyer, est alors entretenu pendant plusieurs jours et surveillé constamment. La première cuisson a solidifié la voûte du four qui sera réutilisé autant de fois que nécessaire.
L’archevêque de Bukavu, que nous avons eu la chance de rencontrer, souhaita consacrer notre chapelle dès lors qu’un autel de pierre y serait placé. Il suggéra de graver sur la pièce maîtresse de la charpente l’inscription en Swahili : AMANI KWENU (Que la paix soit avec vous). Cet entrait repose sur deux consoles sculptées ayant l’aspect de masques traditionnels qui symbolisent la Guerre et la Paix.
Console sculptée représentant la « Guerre »
Console sculptée représentant la « Paix »
La Mère supérieure en action…
Enfin nous ne dirons jamais assez combien la collaboration dévouée des Sœurs de la
Résurrection nous fut précieuse lorsqu’à plusieurs reprises la main d’œuvre vint à manquer et qu’elles s’attelèrent à de lourdes tâches dans la construction. Nous tenons à témoigner encore toute notre reconnaissance au Révérend Père André LACOSTE qui nous familiarisa avec les us et coutumes de la grande forêt équatoriale.
Plans du Couvent (premier projet)
Le R.P. André LACOSTE (1923-2011)
Le Charpentier, Stéphane VERBOOMEN
L’architecte, Bertrand TERLINDEN
avec les Soeurs de la Lwana
L’équipe des scieurs de long
Epilogue
En 1996, la première guerre du Congo, qui a débuté dans le Kivu, oppose les troupes rebelles de Laurent Désiré KABILA à l’armée du maréchal MOBUTU. Conflit au terme duquel le président MOBUTU fut chassé du pouvoir en 1997.
A partir de 1998, la deuxième guerre du Congo, qui trouve ses origines dans le génocide rwandais de 1994, fait rage. La région de la Lwana n’est pas épargnée.
Ce conflit impliqua neuf pays africains et une trentaine de groupes armés et ce jusqu’en 2002.
Plus tard, en 2003 éclate la guerre du Kivu. Cette dernière oppose le général rebelle Laurent NKUNDA, qui rejette l’autorité du gouvernement, à l’armée de la République démocratique du Congo de Laurent Désiré KABILA. Lors de ce conflit, les rebelles de
Laurent NKUNDA, s’emparent du Couvent de la Lwana pour y établir leur quartier général. Les Sœurs de la Résurrection de la Lwana auraient été chassées de leur Couvent à cette période. Ce conflit, qui prendra fin avec l’arrestation de Laurent NKUNDA en janvier 2009, aurait, semble-t-il, épargné la chapelle alors que l’aile principale du Couvent aurait été en partie détruite par les combats et les pillages.
Aujourd’hui nous ignorons le sort réservé à la chapelle et à ce qui reste du Couvent. Une rumeur dit toutefois que la robuste chapelle de la Lwana serait toujours debout, habitée par le souvenir des Sœurs qui ont perdu la vie dans ces guerres successives.
Quant à l’archevêque de Bukavu, Mgr Christophe MUNZIHIRWA, il fut assassiné le 29 octobre 1996 durant la prise de la ville par les troupes de l'AFDL de feu Laurent- Désiré Kabila, père de l'actuel président de la R.D.C.
Stéphane VERBOOMEN et les Sœurs de la Lwana |
Mgr Christophe MUNZIHIRWA |
Crédit photographique : B. Terlinden et S. Verboomen
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