La plupart des anciens Tournaisiens, et
particulièrement les adhérents de la Fondation Pasquier-Grenier, connaissent le
patronyme Lacoste. Nombreux sont ceux aussi qui savent qu'il a existé un
architecte Henry Lacoste, qui vient d'avoir les honneurs d'une grande
exposition rétrospective au Musée d'Architecture Moderne à Bruxelles. On trouve
plus difficilement des personnes qui peuvent citer certaines de ses
réalisations, à Tournai ou ailleurs. Avec un peu de chance, vous rencontrerez
quelqu'un qui vous citera l'église de Bléharies. La Maison Pion émergera
peut-être aussi, bien qu'elle ne porte pas le nom de Maison Lacoste!... Et
c'est à peu près tout…
A l'occasion du regain récent d'intérêt pour ce
maître incontesté mais étonnamment méconnu de l'architecture moderne (Tournai
1885 – Bruxelles 1968), revoyons donc ensemble quelques étapes importantes de
son parcours atypique.
Tombé dans la marmite
C'est au sein d'une famille liée de longue date aux métiers du métal que
naît le jeune Henry. La firme familiale, développée par son père, s'est fait un
nom dans la ferronnerie d'art et a déjà participé à de nombreux concours internationaux
dans ce domaine. Elle a été distinguée par beaucoup de médailles, phénomène
dont on était friand à l'époque, à l'occasion d'expositions universelles et
autres. Le succès de la firme s'inscrit également dans la mouvance néogothique
de la fin du 19ème siècle. Il n'y aura donc rien de surprenant au
fait que, au sortir de ses humanités à Kain, le jeune homme soit encouragé par
son père à poursuivre des études d'architecture à l'Académie de Bruxelles.
La maison Lacoste est installée depuis 1910 au Quai Dumon, juste en face du
Pont de Fer. Cet emplacement a d'ailleurs déjà été marqué depuis près d'un
siècle par la présence de la manufacture de porcelaines du fils du grand
Peterinck.
Tout au long de la carrière d'Henry Lacoste, son lien avec le travail du
métal, la ferronnerie d'art se remarquera et il restera fidèle à ces racines de
famille. Beaucoup de ses bâtiments feront appel au fer et au bronze.
Installation du coq de l'église de Bléharies par Paul Lacoste
Ferronnerie à l'église de Chercq
Bruxelles, mais surtout Paris
Ce qui caractérise rapidement le jeune étudiant en architecture est son
goût pour une branche d'étude relativement nouvelle, la "théorie de
l'architecture". Aussi lorsque son professeur bruxellois Ernest Acker lui
conseillera de poursuivre plutôt ses études à Paris, c'est avec enthousiasme
qu'il s'expatriera.
Dès 1909, on le retrouve à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, dont il sortira
diplômé en 1913, avec le titre envié de "Architecte Diplômé par le
Gouvernement français". Dans ce contexte particulièrement bouillonnant,
il fera la connaissance de nombreuses personnalités et rencontrera des
collègues et collaborateurs avec lesquels il travaillera souvent plus tard,
tels Louis Madeline et le sculpteur Nathan Imenitoff. Son diplôme français lui
facilitera l'accès à beaucoup de concours et de projets.
Révélation à Delphes
Dès avant la Première Guerre Mondiale, à l'âge de 28 ans, le jeune diplômé
Henry Lacoste se voit offrir une chance unique, celle de participer activement
aux fouilles des sites récemment exhumés à Delphes. Il y travaillera par deux
fois, en 1913-1914 et plus tard, lors d'une deuxième mission de fouilles, en
1921.
A l'occasion de ces premières expériences archéologiques, il enrichira prodigieusement
sa connaissance de l'histoire de l'architecture et développera son goût marqué pour
l'architecture antique. Durant toute sa carrière, les références à
l'archéologie et aux civilisations lointaines, d'Europe et du Moyen-Orient,
resteront pour lui une source constante d'inspiration qui alimentera aussi bien
sa pratique que son enseignement.
Maison Pion et Références à l'Histoire
Probablement doit-on trouver là l'origine d'une des caractéristiques
principales de l'architecte Lacoste? Dans le contexte des mouvements
modernistes fleurissant en ce début de siècle, qui prônaient facilement le
rejet des formes d'architecture du passé, Lacoste se singularise par des
références constantes à la pratique de plusieurs époques de l'évolution de
l'architecture. A la différence des architectes éclectiques du 19ème
siècle, il revisitait ces formes avec une créativité qui force l'admiration.
Mission Dhuicque – Cimetières et Ruines
La Première Guerre Mondiale voit notre courageux jeune homme s'engager
comme volontaire de guerre. C'est ainsi qu'il assistera de ses propres yeux à la
destruction de quantité de témoignages de l'architecture traditionnelle de nos
régions. Dès la fin du conflit, et en fonction de sa connaissance directe du
sujet, il participera à la Mission Dhuicque. Elle était chargée de préparer la
reconstruction des villes martyres en effectuant des relevés précis concernant
tous les bâtiments et monuments détruits et les centres urbains. L'urbanisme
devient un des centres d'intérêt auxquels il restera fidèle toute sa vie. De
1919 à 1926, il produit des plans d'urbanisme pour villes et villages bombardés
et relève les ruines d'églises anéanties.
Bléharies, Maison Communale Détail de l'église de Bléharies
Celle de Bléharies lui permet de faire étalage d'un savoir-faire
techniquement avant-gardiste tout en concevant un projet global qu'on viendra
visiter de loin.
C'est avec émotion également qu'il se penchera sur les problèmes des
cimetières dévastés. Toute sa vie il s'intéressera aux monuments funéraires ainsi qu'à
l'organisation des cimetières, comme ceux de Lessines et de Tournai.
En 1921, il épouse Claire Carbonnelle, ce qui l'amènera à réaliser
plusieurs projets pour la Brasserie Carbonnelle. Bientôt, le couple s'établit à
Bruxelles, où il devient professeur à l'Académie des Beaux-Arts, d'abord chargé
du cours d'Histoire de l'Architecture et plus tard de Composition, en
remplacement de Victor Horta. Il reviendra assez souvent travailler à Tournai,
notamment pour la construction de nouvelles passerelles sur l'Escaut,
aujourd'hui disparues.
Fouilles d'Apamée - Les leçons de l'histoire
Les années 30 sont celles d'une intense activité pour Henry Lacoste menant
de front diverses carrières. Il forme toute une génération d'étudiants qui
seront profondément marqués par son enseignement et par ses cours-conférences.
L'époque est aux grandes expositions, coloniales ou universelles, et pour
les besoins des projets pour lesquels il soumissionne, il se met à l'étude des
arts africains.
Sa notoriété le conduit à diriger un long chantier de fouilles à Apamée,
dont il reconstitue les plans et particulièrement la grande colonnade.
Ossuaires, tombes, cimetières, constructions individuelles alternent avec de
grands projets et réalisations d'instituts scientifiques, d'églises et de
pavillons.
C'est durant cette période qu'il réalisera près du Musée des Beaux-Arts de
Tournai sa célèbre Maison Pion, qui peut se découvrir comme une sorte
d'illustration de toutes ses recherches.
Enseignement - Influence et projets
A partir de la Deuxième Guerre Mondiale, son rythme se ralentit quelque
peu. Son enseignement lui prend beaucoup de temps, en plus de ses nombreuses
charges officielles. Il remplace R. Lemaire, puis Paul Bonduelle, à la
Commission Royale des Monuments et des Sites, effectue des relevés de la
cathédrale de Tournai, devient correspondant de l'Institut de France et
Président de l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles.
En plus de constructions de homes ou de pavillons pour l'Expo 58, il
participe à la reconstruction de Louvain et prépare les plans de la
transformation des Maisons Romanes de Tournai et d'autres projets.
A son décès, à l'âge de 83 ans, il est unanimement regretté par les
différentes générations de ses étudiants.
Le relatif oubli dans lequel il sombrera jusqu'à ces dernières années
s'explique peut-être par le fait que ses activités de pédagogue et son passé
d'archéologue l'ont amené à nous laisser moins de traces visibles de ses œuvres
architecturales. Il a été un architecte 'complet' ou 'global',
qui concevait ses créations comme un tout, à la manière de son grand
prédécesseur Horta. Pendant un certain temps, certaines caractéristiques de ses
constructions, proches de l'Art Déco, comme son utilisation de la polychromie ou
son style assez hybride ont subi les revers des changements de mode. Il a
pourtant exercé une forte influence sur ses étudiants, tout en refusant de
créer ce qu'on pourrait appeler une "école" d'architecture. Beaucoup
d'architectes de l'après-guerre reconnaissent ce qu'ils doivent à son enseignement.
Citons, par exemple: André Jacqmain, Claude Strebelle, Paul Mignot, Jacques Moeschal (flèche
Génie civil à l'Expo 58), et notre propre André Wilbaux.
La récente
exposition au Musée d'Architecture Moderne nous a également rappelé combien les
dessins de ses projets étaient inspirés, fouillés et esthétiques: Henry
Lacoste, architecte complet, de la technique la plus moderne aux carrelages et
autres éléments décoratifs, était également un dessinateur de grand talent et
aurait pu faire une merveilleuse carrière d'affichiste ou d'aquarelliste.
Francis Vande Putte
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